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LE COMPAGNON

quels sentiments il a mis dans mon cœur. Les croyez-vous sincères ?

Pierre était enivré, hors de lui ; la fièvre qui brûlait dans les veines d’Yseult avait passé dans les siennes. Tous deux croyaient être transportés seulement par la foi, et n’avoir en ce moment d’autre lien que celui de la vertu. C’était pourtant l’amour qui avait pris cette forme, et qui se chargeait d’allumer en eux la flamme de l’enthousiasme révolutionnaire

— Faites de moi ce que vous voudrez, dit Pierre. Demandez-moi ma vie. C’est trop peu dire, disposez de ma conscience, je croirai en vous comme en Dieu ; je me laisserai conduire avec un bandeau sur les yeux ; que vous daigniez seulement me dire quelques mots pour ranimer ma foi et mon espérance…

— Foi, espérance, charité, répondit Yseult, voilà la devise de l’association à laquelle on vous convie. En est-il une plus belle !

Pierre promit tout ; et lorsque Achille vint les rejoindre, Yseult le lui présenta comme un frère acquis à la sainte cause. L’étonnement et la joie du commis voyageur furent au comble lorsque Pierre confirma sa soumission par une promesse formelle. — Je commence à croire que mademoiselle de Buonaparte est une maîtresse femme, s’écria Lefort en se frottant les mains lorsque Yseult se fût retirée. Vive Dieu ! j’en suis bien revenu sur son compte, maître Pierre ! Elle a été admirable dans tous les assauts que nous avons livrés au grand-papa ; c’est une vraie Montagnarde. Elle vaut mieux dans son petit doigt que toute la famille. Le diable m’emporte si, à votre place, je n’en serais pas amoureux.

Le prosaïsme d’Achille, sur ce chapitre, faisait grand mal à Pierre Huguenin. — Ne vous moquez pas de moi, je vous prie, répondit-il, et ne parlez pas légèrement