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LE COMPAGNON
DU TOUR DE FRANCE

CHAPITRE XXI.

Pierre fit de vains efforts pour arracher le Corinthien de la danse. — Laisse-moi épuiser cette folie, lui répondait le jeune homme. Je t’assure que je suis encore maître de moi-même. D’ailleurs c’est la dernière fois que je braverai ce danger. Mais regarde ; la voilà seule au milieu de tous ces villageois, dont quelques-uns sont avinés. Cette petite Julie n’est pas un porte-respect pour elle ; et si c’était pour moi, comme tu le penses, qu’elle est venue se risquer dans cette foule un peu brutale, ne serait-ce pas mon devoir de veiller sur elle et de la protéger ? Va, Pierre, une femme est toujours une femme, et l’appui d’un homme, quel qu’il soit, lui est toujours nécessaire.

L’Ami-du-trait fut forcé d’abandonner le Corinthien à lui-même. Il se sentait devenir de plus en plus triste en assistant au spectacle de ce bonheur plein de périls et d’ivresse qui réveillait douloureusement en lui sa souffrance cachée. Il se demandait alors s’il avait bien le droit de blâmer une faiblesse à laquelle, dans le secret de ses pensées, il s’était vu près de succomber, et dont il n’eût pu sans mentir se dire radicalement guéri. Il s’enfonça dans le parc, dévoré d’une étrange inquiétude.

Il marchait depuis quelque temps au hasard, lorsqu’il se trouva, au détour d’une allée, non loin de deux personnes qui marchaient devant lui. Il reconnut la robe sombre et la voix assez particulière de mademoiselle de

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