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DU TOUR DE FRANCE.

— Des idées sociales, moi ! des rêves philosophiques ! Non vraiment ! je ne songe plus à tout cela. Mon cœur me tourmente plus que ma tête.

Il y eut un moment de silence. Ce repas fraternel avait rapproché bien des distances entre eux. En rompant le pain noir de l’ouvrier, la marquise avait communié avec lui, et jamais philtre formé avec les plus savantes préparations n’avait produit un effet plus magique sur deux amants timides. — Je suis sûr que vous avez froid, dit Amaury en sentant frissonner la marquise dont l’épaule effleurait la sienne. — J’ai seulement un peu froid aux pieds, répondit-elle. — Je le crois bien, vous avez des souliers de satin. — Comment savez-vous cela ? — Est-ce que vous n’avez pas mis votre pied hors de la voiture pour descendre quand je vous ai ouvert la portière ? — Que faites-vous donc ? — J’ôte ma veste pour envelopper vos pieds. Je n’ai pas autre chose. — Mais vous allez vous enrhumer. Je ne souffrirai jamais cela. Avec ce brouillard ! Non, non, je ne veux pas !

— Ne me refusez pas cette grâce-là, c’est la seule probablement que je vous demanderai dans toute ma vie, madame la marquise.

— Ah ! si vous m’appelez encore ainsi, je n’écoute rien.

— Et comment puis-je vous appeler ?

Joséphine ne répondit pas. Le Corinthien avait ôté sa veste, et, pour lui envelopper les pieds, il était descendu du siége, et il était venu à la portière. — Si vous vous mettiez au fond, lui dit-il, vous seriez au moins abritée par la capote de la calèche ; vous n’auriez pas ce brouillard sur la tête.

— Et vous, dit Joséphine, vous allez rester comme cela, les épaules exposées au froid, et les pieds dans l’herbe mouillée ?

— Je vais remonter sur le siége.