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LE COMPAGNON

ici pour voir s’il irait droit, et si vous ne seriez pas en danger de verser.

— Il est dans un état d’ivresse intolérable, répondit la marquise ; et si vous aviez la bonté de me reconduire à la ville…

— Et pourquoi pas au château ? répondit le Corinthien. Je n’ai jamais conduit une calèche ; mais j’ai su conduire une carriole dans l’occasion, et il ne me semble pas que cela soit bien différent.

— Vous n’auriez pas de répugnance à monter sur le siége ?

— J’en aurais eu beaucoup dans une autre occasion, répondit le Corinthien en souriant ; mais je ne m’en sens aucune dans ce moment-ci.

Joséphine comprit, et se sentit partagée entre l’épouvante de ce qui se passait en elle et l’irrésistible désir d’accepter l’offre d’Amaury ; et ce n’était pas la peur seule qui l’y poussait.

— Mais comment faire ? dit-elle. Il n’y a qu’une place possible sur le siège, et jamais Wolf ne voudra monter derrière la voiture. Il est plein d’amour-propre, et ne se croit pas gris le moins du monde ; il va faire un esclandre. Cet homme me fait une peur affreuse. J’aimerais mieux m’en retourner à pied au château que de me laisser conduire par lui.

— J’aimerais mieux traîner la voiture que de vous laisser faire cinq lieues à pied, répondit le Corinthien.

— Eh bien ! nous le laisserons ici, dit Joséphine, dont les joues étaient brûlantes. Sauvons-nous !

— Sauvons-nous ! dit le Corinthien. Le voilà qui entre dans le cabaret ; nous serons loin avant qu’il ait songé à en sortir.

Il referma précipitamment la portière, s’élança sur le siége, s’empara du fouet et des rênes, et partit comme un