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LE COMPAGNON

vant, grand souverain, ou grand poëte ;… oh ! que ceux qu’on appelle grands hommes viennent nous dire cela ! nous nous jetterons dans leur sein, comme dans le sein de Dieu ; car Dieu ne crée pas par la science et par la force seulement ; il crée aussi par l’amour. Mais tant que, méprisant la grossièreté de notre entendement, ils nous parqueront comme des bêtes dans un clos où il n’y a pas même de l’herbe à brouter, où nous ne pouvons tenir tous sans nous écraser et nous étouffer les uns les autres, et dont pourtant nous ne pouvons pas sortir, parce qu’on a mis partout des soldats pour garantir de nos mains les beaux fruits de la terre, nous leur dirons : Taisez-vous, et laissez-nous sortir de là comme nous pourrons. Vos conseils sont des trahisons, et vos triomphes sont des outrages. Ne marchez pas sur nos chaînes d’un air superbe ; ne vous promenez pas dans nos rangs consternés avec des paroles de fausse pitié à la bouche. Nous ne voulons rien faire pour vous, pas même vous saluer ; car vous qui nous saluez bien bas quand vous avez peur ou besoin de nous, vous savez bien que vous n’avez pas dans le cœur la moindre envie de remettre dans nos mains vos trésors, votre puissance et votre gloire. Voilà ce que nous dirons à vos hommes d’intelligence !

— Mais tout ce que vous mettez dans la bouche de l’homme qui demande au peuple sa force et son illustration, je le sens dans mon cœur. Si j’ai de tels sentiments, moi serviteur obscur de la cause, pourquoi ne voulez-vous pas que de nobles intelligences les aient au plus haut degré ?

— Parce que, jusqu’à présent, cela ne s’est pas montré, parce que j’ai lu tout ce que j’ai pu lire, et que je n’ai pas seulement aperçu ce que je cherchais ; parce que j’ai trouvé orgueilleuses, cruelles et antihumaines toutes les solutions données par vos grands esprits passés et présents.