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DU TOUR DE FRANCE.

— Ayons donc recours et confiance aux hommes supérieurs.

— Où sont-ils ? qu’ont-ils fait ? qu’ont-ils enseigné ? Quoi ! vous les avez entendus, vous agissez sous leurs ordres, vous travaillez à leur profit, et vous ne savez rien, et vous n’avez rien à me dire de leur part ? Ils ont un secret, et ils ne le confient pas à leurs adeptes ? et ils ne le laissent pas seulement entrevoir au peuple ? Ce sont donc les brahmes de l’Inde ?

— Vous avez une logique cruelle et décourageante, maître Pierre. Que faut-il donc faire, si personne ne sait ce qu’il fait et ce qu’il dit ? Faut-il se croiser les bras et attendre que le peuple se délivre lui-même ! Croyez-vous qu’il y parvienne sans conseils, sans guides, sans règle ?

— Il y parviendra pourtant, et il aura tout cela. Sa règle, il la fera lui-même ; ses guides, il les tirera de son propre sein ; ses conseils, il les puisera dans l’esprit de Dieu qui descendra sur lui. Il faut bien un peu compter sur la Providence.

— Ainsi vous repousseriez toute espèce de lumière venant des chefs du libéralisme ? Parce qu’un homme aura de la célébrité, des talents et de l’influence sur les classes moyennes, le peuple se méfiera de lui ?

— Le jour où un tel homme viendra nous dire : On vante mon mérite, on admire mon savoir, on plie sous ma puissance ; mais écoutez bien, mes enfants : ma science, ma force ou mon génie ne me constituent aucun droit qui vous soit nuisible. Je reconnais donc que le plus simple d’entre vous a droit, tout aussi bien que moi et les miens, au bien-être, à la liberté, à l’instruction ; que le plus faible parmi vous a droit de réprimer ma force si j’en abuse, et le plus obscur de repousser mon avis s’il est immoral ; enfin que je dois faire preuve de vertu et de charité pour être, à mes propres yeux comme aux vôtres, grand sa-