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DU TOUR DE FRANCE.

répondu négativement à toutes les suppositions que celui-ci faisait sur la cause de son chagrin. Eh bien ! je parlerai. Ce sera sans doute un discours bien inutile, et je crois que ce beau chien que voici, et dont l’embonpoint et la propreté feraient envie à bien des hommes, serait le premier à le mépriser s’il pouvait l’entendre.

— Mais nous ne sommes pas des chiens, répliqua en riant le vieux comte : j’espère que nous comprendrons ; et nous nous garderons bien d’être méprisants, dans la crainte d’être méprisés à notre tour. Allons, jeune orgueilleux, dites votre pensée.

Alors Pierre se mit à raconter naïvement toutes les idées qui lui étaient venues dans le parc depuis l’aube jusqu’au soleil levant. Il le fit sans emphase, mais sans embarras et sans fausse honte. Il ne craignit pas de dire au comte tout ce qu’il trouvait d’illégitime dans le fait de sa richesse ; car, en même temps, il lui dit tout ce qu’il trouvait de sacré dans ses droits au bonheur. Il lui posa tout le problème social qui s’agitait en lui avec une clarté et même avec une éloquence qui révélèrent au comte un homme peu ordinaire, et qui le forcèrent de regarder de temps en temps sa fille avec une expression d’étonnement et d’admiration qu’elle partageait bien visiblement. J’ignore si Pierre s’aperçut de ce dernier point : je pense qu’il ne voulut pas regarder Yseult, dans la crainte qu’un air de doute et de pitié ne lui ôtât la force de tout dire. Je pense aussi que, s’il l’eût regardée et qu’il l’eût vue sourire d’adhésion avec des yeux humides de sympathie ; il eût perdu la tête, ou tout au moins le fil de son discours.

Quand il eut dit tout l’effroi et toute la douleur que ses réflexions lui avaient causés et l’abîme de doute et de désespoir où elles l’avaient conduit, il confessa qu’il avait senti en lui, à ce moment de détresse, l’horreur de la vie et le besoin de fuir vers un monde meilleur. Il avoua qu’il