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DU TOUR DE FRANCE.

— Mon art n’est qu’un obscur métier, répondit Pierre, qui se sentait peu disposé à l’expansion.

— Vous êtes propre à tout, reprit le comte ; et si vous sentez quelque autre ambition…

— Aucune, monsieur le comte, interrompit Pierre avec une fermeté tranquille.

— Il faut pourtant venir au fait, mon brave jeune homme, et vous asseoir à côté de moi pour causer sans méfiance et sans hauteur avec un vieillard qui vous en prie amicalement.

Pierre, vaincu par ces paroles affectueuses et peut-être aussi par l’attitude triste et inquiète de mademoiselle de Villepreux, se laissa tomber sur le siége vis-à-vis d’elle. Il pensait qu’elle allait se lever et s’éloigner, comme elle faisait ordinairement quand il conférait avec son grand-père ; mais cette fois elle resta, et n’éloigna même pas sa chaise de cette table étroite, qui ne mettait entre son visage et celui du compagnon menuisier qu’une courte distance, et entre leurs genoux peut-être qu’un intervalle plus court encore. Pierre se garda bien d’approcher tout à fait son siége de la table. Il se sentait calme et maître de lui-même ; mais il lui semblait que, s’il eût effleuré seulement la robe d’Yseult, la terre se fût dérobée sous lui, et qu’il serait retombé dans l’empire des songes.

— Pierre, reprit le comte avec un ton d’autorité paternelle, il faut m’ouvrir votre cœur. Ma fille vous a rencontré ce matin dans le parc, accablé, désespéré, hors de vous-même. Elle vous a abordé, elle vous a interrogé ; elle a bien agi. Elle vous a fait, en mon nom, des offres de services, des promesses d’amitié ; elle a parlé selon son cœur. Vous avez rejeté ces offres avec une fierté qui vous rend encore plus estimable à mes yeux, et qui me fait un devoir de vous servir malgré vous. Prenez donc garde d’être injuste, Pierre ! Je sais d’avance tout ce que votre