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DU TOUR DE FRANCE.

tout bas de voir mauvaise compagnie. Toute son ambition était d’entrer comme officier dans la garde royale. Mais là il avait rencontré de l’opposition de la part du grand-père, et leurs explications avaient été assez vives. Quand son intérêt personnel était compromis ouvertement, le comte ne manquait pas de volonté colérique. Il craignait qu’en vouant son fils au service des princes régnants, sa popularité ne le quittât. De son côté, le jeune homme trouvait fort mauvais que, pour plaire à la canaille, son grand-père se permît de manifester une opinion qui pouvait lui fermer tout accès aux faveurs de la cour. Il attendait donc avec impatience que sa majorité lui permît de se dessiner un rôle tout opposé ; et le comte se creusait la tête pour le retenir, sans voir comment cela deviendrait possible. Au fond, ils s’aimaient l’un l’autre ; car le vieillard avait le cœur tendre et miséricordieux, et Raoul n’était pas sans bonnes qualités. Il était victime de l’absence de doctrine qui rompait dans sa famille le lien moral et politique ; mais il eût été susceptible de recevoir une meilleure direction, et il y avait en lui certaines délicatesses secrètes de la conscience qui le retenaient encore.

Yseult avait pour le comte une tendresse plus profonde et mieux sentie. Son âme ne pouvait loger que de grandes affections, et, comme elle n’avait pas assez d’expérience pour apprécier la frivolité de son aïeul, elle croyait aveuglément en lui. Elle prenait au sérieux toutes ses paroles, toutes ses opinions, et se tenait, pour se diriger à travers des contradictions qu’elle ne comprenait pas bien, entre un libéralisme ardent et un respect instinctif pour les lois du monde. Quelquefois cependant elle présentait, à ce dernier égard, des objections que le comte écoutait avec complaisance, et qu’il était bien empêché de repousser. Alors il se tirait d’affaire en disant qu’Yseult avait toute la rigidité de conséquences que comporte un esprit neuf,