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LE COMPAGNON

que du moins il n’apportait pas d’obstacles aux enseignements de l’avenir.

Cette méthode avait produit des effets contraires dans deux natures aussi opposées que celles d’Yseult et de son frère Raoul. L’une, réfléchie, sensée, ferme, profondément juste et sensible, avide d’instruction solide et de culture poétique, avait beaucoup acquis, et attendait effectivement ses conclusions du temps et des circonstances. Elle avait contracté peu de préjugés dans le commerce du monde, et le moindre souffle de vérité pouvait les lui enlever. Avec elle, l’éducation à la Jean-Jacques avait fait merveille ; et peut-être aucune éducation, eût-elle été mauvaise, n’eût pu corrompre cette nature droite et grandement sage.

L’autre ayant montré un esprit très-récalcitrant à l’étude, on s’était contenté de lui donner des maîtres pour obéir à l’usage ; mais on n’avait jamais poussé les choses au point de le faire pleurer. Le grand-père avait cette égoïste douceur d’âme qui ne saurait lutter contre les rébellions et les larmes de l’enfance. Le jeune Raoul n’avait donc appris que l’art de se divertir. Il savait monter à cheval ; il excellait au tir, à la nage, à la valse, au billard. Quoiqu’il fût d’une complexion fort délicate en apparence, il était infatigable dans tous les exercices du corps, et en tirait la plus grande vanité qu’il eût, après celle de son nom qu’il avait acquise dans la fréquentation des jeunes élégants du grand monde. Sur ce chef-là, le vieux comte était bien un peu effrayé des résultats de son plan d’éducation libre. Le jeune homme ne montrait aucun goût pour les idées libérales. Tout au contraire, il avait embrassé le genre ultra, qu’il voyait affecter à ses compagnons de plaisir. On lui faisait bon accueil dans le grand monde, et on l’y félicitait de bien penser. Il s’ennuyait mortellement dans la société de son aïeul, qu’il accusait