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LE COMPAGNON

joyeux, l’animaient de leurs travaux et de leurs concerts. Pierre parcourut tout ce monde inconnu avec autant de rapidité qu’un oiseau peut le faire ; et partout où son esprit se posait, il voyait la fécondité, le bonheur et la paix fleurir sous des formes nouvelles. Alors un être qui voltigeait près de lui depuis longtemps sans qu’il le reconnût, lui dit : Vous voici enfin dans le ciel que vous avez tant désiré de posséder, et vous êtes parmi les anges ; car les temps sont accomplis. Une éternité succède à une éternité ; et quand vous reviendrez à la fin de celle-ci, vous verrez encore d’autres merveilles, un autre ciel et d’autres anges. Alors Pierre, ouvrant les yeux, reconnut le lieu où il était et l’être qui lui parlait. C’était le parc de Villepreux, et c’était Yseult ; mais ce parc touchait aux confins du ciel et de la terre, et Yseult était un ange rayonnant de sagesse et de beauté. Et en regardant bien les anges qui passaient, il reconnut son père et le père d’Yseult, qui marchaient enlacés au bras l’un de l’autre ; il reconnut Amaury et Romanet, qui m’entretenaient amicalement ; il reconnut la Savinienne et la marquise, qui cueillaient dans la même corbeille des fleurs et des épis ; il reconnut enfin tous ceux qu’il aimait et tous ceux qu’il connaissait, mais transformés et idéalisée. Et il se demandait quel miracle s’était opéré en eux, pour qu’ils fussent ainsi tous revêtus de beauté, de force et d’amour. Alors Yseult lui dit : — Ne vois-tu pas que nous sommes tous frères, tous riches et tous égaux ? La terre est redevenue ciel, parce que nous avons arraché toutes les épines des fossés et toutes les bornes des enclos ; nous sommes redevenus anges, parce que nous avons effacé toutes les distinctions et abjuré tous les ressentiments. Aime, crois, travaille, et tu seras ange dans ce monde des anges.

— Qu’a-t-il donc à dormir ainsi les yeux ouverts ? Il a l’air de rêvasser dans la fièvre. Réveille-toi tout à fait, mon