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LE COMPAGNON

autre circonstance ; mais cette rencontre émouvante et ces marques d’intérêt dans un moment où son cœur se brisait de douleur étaient une diversion qu’il n’avait pas la force de repousser, un baume dont il sentait malgré lui le douceur pénétrer dans son âme. Affaibli par ses larmes, et presque effrayé de la bonté d’Yseult, il s’appuya contre un arbre, chancelant et accablé. Elle se tenait toujours debout devant lui, prête à s’éloigner sitôt qu’elle le verrait calme, mais ne pouvant se résoudre à le quitter sur une parole amère. Et, comme elle le vit les yeux baissés, la poitrine oppressée encore, dans l’attitude d’un homme brisé de fatigue qui n’a pas le courage de reprendre son fardeau et de marcher, elle ajouta à ce qu’elle avait dit :

— Je vois bien que vous êtes très-malheureux, et on dirait presque humilié de ma sympathie. C’est peut-être ma faute, et je crains d’avoir mérité ce qui m’arrive.

Pierre, étonné de ces paroles, leva les yeux, et la vit pâlir et rougir tour à tour, en proie à une lutte intérieure très-vive où son orgueil faisait résistance. Néanmoins il y avait tant de noblesse et de courage dans l’expression de son repentir, que Pierre sentit s’évanouir tout son ressentiment ; mais il voulut être sincère.

— Je vous comprends, mademoiselle, dit-il avec cette assurance que lui rendait toujours le sentiment de sa dignité. Il est bien vrai que vous avez inutilement blessé une âme déjà souffrante. Je n’avais pas besoin d’être rappelé au respect que je vous dois, et votre réponse à madame des Frenays ne m’a pas persuadé que je ne fusse pas une créature humaine. Non, non ! l’artisan et le bois façonné qui sort de ses mains ne sont pas absolument la même chose. Vous n’étiez pas seule l’autre jour, car vous étiez avec un être qui comprenait votre bonté affable et qui se prosternait devant elle. Mais je vous jure que ce