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DU TOUR DE FRANCE.

s’écria Pierre avec une sorte d’égarement que dissipaient peu à peu la confusion et la fierté. Est-ce que je suis malheureux, moi ?

— Votre figure est encore couverte de larmes, et c’est le bruit de vos sanglots qui m’a attirée auprès de vous.

— Vous êtes bonne, mademoiselle, très-bonne, en vérité ! mais il y a un monde entre nous. Monsieur votre père, que je respecte de toute mon âme, ne me comprendrait pas davantage. Si j’avais fait des dettes, il pourrait les payer ; si je manquais de pain ou d’ouvrage, il saurait me procurer l’un et l’autre ; si j’étais malade ou blessé, je sais que vos nobles mains ne dédaigneraient pas de me porter secours. Mais si j’avais perdu mon père, le vôtre ne pourrait pas m’en tenir lieu…

— Ô mon Dieu ! s’écria Yseult avec une effusion dont Pierre ne l’aurait jamais crue capable, le père Huguenin est-il mort ? Ô pauvre, pauvre fils, que je vous plains !

— Non, ma chère demoiselle, répondit Pierre avec simplicité et douceur ; mon père se porte bien, grâce au bon Dieu. Je voulais dire seulement que si j’avais perdu un ami, un frère, ce n’est pas votre digne père qui pourrait le remplacer.

— Eh bien, vous vous trompez, maître Pierre. Mon père pourrait devenir votre meilleur ami. Vous ne nous connaissez pas ; vous ne savez pas que mon père est sans préjugés, et que, là où il rencontre le mérite, l’élévation des sentiments et des idées, il reconnaît son égal. Je voudrais que vous l’entendissiez parler de vous et de votre ami le sculpteur : vous n’auriez plus cette méfiance et cette aversion pour notre classe que je devine maintenant en vous, et qui m’afflige plus que vous ne pouvez le croire.

Pierre aurait eu bien des choses à répondre dans une