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LE COMPAGNON

Au milieu de toutes ces hypothèses, le brave Pierre, ne pouvant en contempler aucune sans effroi et sans horreur, fut pris d’un accès de désespoir. Il oublia l’heure qui marchait et le soleil qui, en montant sur l’horizon, lui mesurait sa tâche de travail. Il tomba le visage contre terre, et se tordit les mains en versant des torrents de larmes.

Il était là depuis longtemps lorsqu’en relevant la tête pour regarder le ciel avec angoisse il vit devant lui une apparition qu’il prit, dans son délire, pour le génie de la terre. C’était une figure aérienne, dont les pieds légers couchaient à peine le gazon, et dont les bras étaient chargés d’une gerbe des plus belles fleurs. Il se releva brusquement, et Yseult, car c’était elle qui faisait paisiblement sa poétique récolte du matin, laissa tomber sa corbeille, et se trouva devant lui, pâle, stupéfaite et tout entourée de fleurs qui jonchaient le gazon à ses pieds. En reprenant sa raison et en reconnaissant celle qui lui avait fait tant de mal, Pierre voulut fuir ; mais Yseult posa sur sa main une main froide comme le matin, et lui dit d’une voix émue :

— Vous êtes bien malade, ou vous avez un grand chagrin, monsieur. Dites-moi le malheur qui vous est arrivé, ou venez le confier à mon père ; il tâchera de le réparer. Il vous donnera de bons conseils, et son amitié pourra peut-être vous faire du bien.

— Votre amitié, madame ! s’écria Pierre encore égaré et d’un ton amer ; est-ce qu’il y a de l’amitié possible entre vous et moi ?

— Je ne vous parle pas de moi, monsieur, répondit mademoiselle de Villepreux avec tristesse ; je n’ai pas se droit de vous offrir mon intérêt. Je sais bien que vous ne l’accepteriez pas.

— Mais à qui donc ai-je dit que j’étais malheureux ?