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PROCOPE LE GRAND.

les profondeurs du Bœhmerwald, et lui-même, entraîné par les fuyards, perdit sur les chemins la bulle du pape, son chapeau et son habit de cardinal, sa croix et sa clochette. Ces insignes furent ramassés et portés à Taus, où ils restèrent longtemps dans les archives de la ville.

L’épouvante fut si grande, qu’ayant oublié par où ils étaient venus, et assourdis par le bruit de cent cinquante gros canons qu’ils avaient abandonnés, et que les Bohémiens s’amusaient à faire partir pour augmenter leur terreur, ils s’enfoncèrent pêle-mêle dans les chemins tortueux de la montagne, courant à toute bride ; les chariots se croisant, se heurtant, les cavaliers s’abattant de tous côtés. C’était une confusion, des cris, un désordre dont rien ne peut donner l’idée, un spectacle lamentable à voir. Onze mille hommes périrent, pour ainsi dire, en courant. Sept cents tombèrent aux mains de l’ennemi. Toutes les munitions de guerre et de bouche, deux cent quarante chariots remplis les uns de vin, les autres d’or et d’argent, furent abandonnés. L’armée en déroute arriva à Ratisbonne dans un état déplorable, et y apporta le désespoir. Cette ville s’était épuisée pour les frais de la croisade, et il fallait qu’elle s’imposât à la hâte de nouveaux sacrifices pour se fortifier, car on attendait l’ennemi et sa vengeance. Mais le cardinal l’avait dit : « Ce ne sont pas les murailles qui défendent les hommes. »

« Qui l’aurait cru, s’écrie à cette occasion l’historien Cochlée, qu’une armée de quarante mille chevaux eût pu prendre la fuite si soudainement ? Le Turc, lui-même, ce tyran si puissant par un si grand nombre de royaumes et de provinces, n’oserait pas combattre une telle armée. » Sans doute personne n’eût voulu le prévoir, cet ascendant irrésistible de la bonne cause sur la

    discours au cardinal. Il prétend que cette harangue ne fit nulle impression sur le soldat épouvanté.