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PROCOPE LE GRAND.

Les prêtres taborites, peu touchés de sa beauté, l’avaient surnommé le Cheval roux de l’Apocalypse, comme ils appelaient le pape simoniaque l’Antechrist. L’Antechrist, en homme médiocre, se flattait toujours de réduire l’hérésie par la force des armes, et d’inaugurer les bûchers de l’inquisition sous les tilleuls de la Bohême. Nais le Cheval roux, meilleur politique, disait, sans s’émouvoir au récit des exploits de son peuple révolté : « Les Bohémiens ne seront vaincus que par les Bohémiens. » Amère et froide sentence, triste parole prophétique ! Il se tenait donc désormais à l’écart, et laissait faire ; sachant bien que son jour viendrait, et qu’avec de la ruse il ferait oublier ce que ses commencements avaient eu d’impopulaire et d’odieux ; même il affectait de blâmer les croisades du pape et les ravages des gens de guerre, qui lui gâtaient et lui ruinaient à plaisir sa pauvre, sa chère Bohême.

Dès que ceux de Prague eurent avis de l’arrivée des Allemands, ils envoyèrent en toute hâte demander secours à Procope le Grand et à toute sa bande de héros. Soit qu’en effet la marche des Taborites vers l’ennemi les contraignit de traverser Prague, soit que ces fières cohortes voulussent tirer une vengeance courtoise de leurs adversaires réconciliés, ils demandèrent le passage à travers la ville. On le leur accorda en tremblant, et en les conjurant de ne pas s’arrêter et de passer en bon ordre, sans commettre aucun acte de vengeance. Ils le promirent, et défilèrent lentement avec leurs chariots. Procope vint le dernier avec sa cavalerie et les chariots d’élite. On avait en lui une telle confiance, qu’on le retint et le logea dans la ville avec son monde durant quelques jours. Plusieurs seigneurs catholiques, des grands de Bohême et de Moravie, se joignirent même à lui pour combattre l’ennemi commun. Ils eussent été moins hardis