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DU TOUR DE FRANCE.

fait de vous, m’ont appris à quels remords je serais en proie si je causais par ma résistance la mort de l’homme que je chéris le plus au monde après vous ; oui, Pierre, après vous : le plus vertueux des deux a la plus grande place dans mon cœur. Mais j’ai envers mon aïeul des devoirs de toute la vie, dont un jour de faiblesse et d’erreur de sa part ne saurait me dégager. Tant qu’il sera contraire à notre amour, je ne lui en parlerai plus ; à Dieu ne plaise que j’empoisonne ses dernières années par une persécution à laquelle il céderait peut-être ! Mais il est possible que de lui-même (et j’y compte, moi qui ne suis pas habituée à douter de lui), il revienne à la vérité que je lui ai toujours vu aimer et pratiquer. S’il persiste, je me soumettrai à toutes ses volontés, excepté à celle d’épouser un autre homme que vous. À cet égard, je ne me regarde plus comme libre. Ce que je vous ai dit, je l’ai juré à Dieu et à moi-même. Je ne me parjurerai pas. Ainsi, dans un an comme dans dix, le jour où je serai libre, si vous avez eu la patience de m’attendre, Pierre, vous me retrouverez dans les sentiments où vous me laissez aujourd’hui.

Trois jours après, le comte, son fils, sa fille et sa nièce roulaient en berline à quatre chevaux sur la route de Paris, et le Corinthien en diligence sur celle de Lyon pour gagner l’Italie. La Savinienne rangeait le cabinet d’Yseult, et versait de grosses larmes en silence. Le Berrichon chantait dans l’atelier ; et Pierre Huguenin, pâle comme un linceul, amaigri, vieilli de dix années en un jour, travaillait d’un air calme, et répondait avec douceur aux caresses et aux questions inquiètes de son père.


FIN.