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DU TOUR DE FRANCE.

agitée convenaient à la disposition orageuse et confuse de son âme.

Mais lorsque le jour parut, Pierre se retrouva identiquement à la même place où, quatre mois auparavant, à la même heure, il avait soulevé dans son esprit le problème de la richesse avec d’incroyables souffrances et d’affreuses incertitudes. Depuis ce jour mémorable dans sa vie à tant d’autres égards, Pierre avait tendu continuellement son esprit vers ce problème ; et s’il avait eu de grands instincts, si d’immuables principes de vérité avaient traversé le chaos de sa pensée, s’il avait trouvé sa règle de conduite et fixé ses rapports avec la société présente, il n’en était pas moins certain que le problème général restait encore aussi terrible et aussi mystérieux pour lui que pour les hommes les plus forts de son époque. Pierre devait traverser bien des croyances diverses, bien des systèmes incomplets, juger bien des erreurs, partager bien des enivrements politiques et philosophiques avant de recevoir ces lueurs plus fécondes et plus certaines qui commencent à éclairer le vaste horizon du peuple.

Ramené, au milieu de sa joie et de son ivresse d’amour, au sentiment de ce devoir austère qu’il s’était imposé de chercher la vérité et la justice, il fut épouvanté de cette richesse, qui semblait s’offrir à lui et le convier aux jouissances des privilégiés. Quelle que fût l’opposition du comte aux projets de sa petite-fille, Pierre pouvait l’épouser. Le comte était vieux, Yseult forte et fidèle. Pierre n’avait donc qu’un mot à dire, un serment à accepter ; et ces terres, et ce château, et ce beau parc qui lui avait donné la première idée de la nature vaincue et idéalisée par la main de l’homme, tout cela pouvait être à lui. Il pouvait fermer désormais son cœur à la souffrance de la pitié, s’endormir pour quarante ou cinquante ans dans la