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DU TOUR DE FRANCE.

il y en avait deux ! J’ai été trompé plus longtemps que je ne croyais.

Puis, lui recommandant le silence sur l’existence du couloir et se gardant bien de lui dire quel homme il avait vu en sortir, il alla se recoucher assez tranquillement. Il avait tant vécu, que rien ne pouvait lui sembler neuf, ni exciter sa stupeur ou son indignation. Mais il ne s’endormit pas avant d’avoir calculé ce qu’il avait à faire pour mettre fin à une intrigue qu’il ne voulait tolérer en aucune façon.

Le lendemain, de grand matin, le jeune Raoul partit pour la chasse avec Isidore Lerebours, dont il se servait comme d’un piqueur robuste pour courir le lièvre, et comme d’un maquignon effronté dans l’achat ou l’échange de ses chevaux. Vers midi, en revenant au château, il lui adressa plusieurs questions sur la Savinienne, dont la beauté avait excité en lui quelque désir ; et Isidore lui ayant répondu que c’était une prude hypocrite, il lui demanda s’il jugeait qu’elle serait sensible à quelques présents. Isidore, qui désirait surtout se venger de Pierre, l’encouragea dans son projet de séduction, et ajouta que si on pouvait écarter le fils Huguenin, qui était fort jaloux d’elle, il serait bien plus facile de s’en faire écouter.

— Éloigner cet ouvrier de la maison ne me paraît pas chose aisée, répondit Raoul ; mon père et ma sœur en sont coiffés, et le citent à tout propos comme un homme de génie. Quel homme est-ce ?

— Un sot, répondit l’ex-employé aux ponts et chaussées, un manant, qui vous manquerait de respect si vous vous commettiez avec lui en quoique ce soit. Il se donne de grands airs parce que M. le comte le protège, et il dit tout haut que si vous faisiez mine de regarder la Savinienne, vous trouveriez à qui parler, tout comte que vous êtes.