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LE COMPAGNON

mobile était placé trop haut pour qu’il pût en voir le disjoint. D’ailleurs il n’entendit plus rien, et il allait se retirer, lorsqu’il vit le panneau s’ébranler, glisser comme dans une coulisse, et le Corinthien pâle, les cheveux, en désordre et la rage dans les yeux, sauter de dix pieds de haut sur un tas de copeaux qu’il avait placés là pour amortir le bruit de sa chute quotidienne. Il montait avec une échelle qu’il jetait ensuite par terre sur ces mêmes copeaux pour ôter tout soupçon à ceux qui pourraient entrer la nuit dans l’atelier.

Aussitôt que le comte avait vu remuer le panneau, il s’était retiré en arrière, et, se cachant derrière le rideau de tapisserie, il avait lorgné et observé le Corinthien sans être aperçu. À peine le jeune homme se fut-il retiré que le comte descendit dans l’atelier, frotta le bout de sa béquille dans un pot de blanc de céruse, et fit sur le panneau mobile une marque pour le reconnaître. Puis, avant que le jour fût levé, il alla réveiller Camille, son vieux valet de chambre, le plus petit, le plus vert, le plus pointu, le plus rusé et le plus discret de tous les Frontins du temps passé. Camille prit ses passe-partout et conduisit son maître par un autre chemin à l’atelier. Il posa l’échelle contre la boiserie désignée, prit sa petite lanterne sourde, grimpa lestement malgré ses soixante-dix ans, pénétra dans le couloir mystérieux comme un furet, et, traversant la trouée faite dans l’impasse, arriva jusqu’à la porte de l’alcôve de la marquise, qu’il connaissait fort bien pour avoir dans sa jeunesse fait passer par là un rival de son maître. À telles enseignes que le couloir avait été muré, mais trop tard.

Lorsqu’il revint apprendre au comte (non pas sans quelque embarras) le résultat de son voyage à travers les murs, le comte, au lieu de se troubler, lui dit d’un air ironique : — Camille, je ne savais pas qu’au lieu d’un couloir