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DU TOUR DE FRANCE.

— Il est vrai, puisque, moi, je n’ai pas de projets. Que faire donc ? Si je vous dis mes idées et que vous vouliez vous servir de moi, vous serez libre de me répondre que ce sont justement les vôtres.

— Je vous dirai ce que vous me disiez d’abord : ou vous avez confiance en moi, ou…

— Mais pourquoi donc aurais-je confiance en vous ? Vous ai-je cherché ? Est-ce que je songeais à vous quand vous m’avez accosté sur le bord de la Loire ? Est-ce que je cherchais la république tout à l’heure, quand vous m’avez arrêté dans cette allée ? Est-ce que j’insiste, dans ce moment-ci, pour être initié à vos secrets ? Voulez-vous de moi, ou n’en voulez-vous pas ? Parlez ou taisez-vous.

— Vous avez une logique impitoyable, et je vois que j’ai affaire à forte partie. Eh bien ! je parlerai ; car, sans cela, le débat deviendrait comique, et, pour le terminer selon nos prétentions mutuelles, il faudrait nous mettre à parler tous les deux à la fois, ce qui ne serait pas le moyen de s’entendre. Je commence : Nous avons prononcé le mot de république ; et d’abord nous voici arrêtés. Qu’est-ce que la république ? est-ce celle de Platon ? est-ce celle de Jésus-Christ ? est-ce celle de l’ancienne Rome ou de l’ancienne Sparte ? est-ce celle des Treize-Cantons ? est-ce celle des États-Unis ? enfin, est-ce celle de la Révolution française, dans laquelle on peut compter quinze à vingt formes de république tour à tour essayées, dépassées et culbutées…

Ici Achille Lefort s’arrêta pour respirer. Le bon jeune homme était un peu embarrassé de la définition qu’il fallait donner, et il espérait étourdir son adversaire à force d’érudition. Mais Pierre le suivait fort bien, et rien de ce qu’il entendait ne lui était étranger.

— Ce n’est, à coup sûr, aucune de ces formes que vous avez adoptée, répliqua-t-il. Vous avez trop de jugement