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LE COMPAGNON

ment abjurée, lui revint en mémoire ; et, peu à peu aussi, le vicomte, voyant l’heure passée et l’occasion manquée, se contint et se refroidit. Ils étaient tous les trois fort maussades en arrivant au château, et Joséphine, brisée de chagrin et de fatigue, alla s’enfermer dans sa chambre et se jeter sur son lit, où elle s’endormit sans avoir eu la force de se déshabiller.

Depuis bien des nuits le Corinthien ne dormait pas, et le jour il travaillait sans ardeur. Il éprouvait plutôt le besoin de s’étourdir et de s’arracher à lui-même qu’un véritable repentir de son égarement, et attendait la réponse de la Savinienne avec plus de terreur que d’impatience ; car il faisait d’inutiles efforts pour se rattacher à cet amour austère, si différent de celui qu’il avait connu dans les bras de la marquise. Pierre voyait qu’il espérait un refus, et lui-même désirait qu’il en fût ainsi. En s’affermissant dans la pensée que son ami ne reviendrait jamais complètement à son premier amour, il se promettait, au cas où la Savinienne ajouterait foi à la lettre du Corinthien, de la désabuser, soit en lui écrivant, soit en allant la trouver pour l’éclairer et l’exhorter au courage.

Le Corinthien était bien coupable, mais il aimait passionnément Joséphine. Et comment ne l’eût-il pas aimée ? Son plus grand crime était de ne pas savoir pardonner quelque chose à la coquetterie d’une jeune fille mal élevée, et de vouloir arracher de son propre cœur, avant le temps, une passion dont les enivrements n’étaient pas encore épuisés. Nous portons tous dans l’amour un besoin de domination qui nous rend implacables pour les moindres fautes. Celles de la marquise n’étaient que le résultat fatal de son caractère et de ses habitudes. Il fallait qu’elle les expiât comme elle venait de le faire pour en sentir la gravité. Inquiète d’abord de voir les nuits s’écouler sans recevoir les visites de son amant, elle l’avait cru malade,