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DU TOUR DE FRANCE.

et si transparente qu’on distingue toutes ses formes. Une femme du peuple rougirait de se montrer ainsi en public ; elle craindrait d’être confondue avec les prostituées ! Et maintenant la voilà qui passe toute haletante des bras d’un homme aux bras d’un autre homme qui la presse, qui la soulève, qui respire son haleine, qui froisse encore sa ceinture déjà flétrie, et qui boit la volupté dans ses regards. Non ! je ne puis pas voir cela plus longtemps. Allons-nous-en, Pierre, ou bien entrons dans ce bal, brisons ces lustres, renversons tous ces meubles, mettons en fuite tous ces damerets, et leurs femmes verront comme ils savent les défendre des outrages de la populace !

Pierre vit que l’exaspération de son ami ne pouvait plus être contenue ; il l’entraîna loin du château, et réussit à le ramener chez lui. Là ils trouvèrent une lettre timbrée de Blois dont la vue fit tressaillir le Corinthien. Elle était adressée à Pierre, qui lui en fit part aussitôt.

« Mon cher Pays (écrivait le Dignitaire), je vous annonce que la société du Devoir de liberté quitte cette résidence, et que Blois cesse de faire partie de nos villes de Devoir. Les persécutions que nous avons eu à souffrir de la part des autres sociétés nous ont causé de tels dégoûts, que nous préférons l’abandon de nos droits à une guerre interminable. Cette résolution ayant été prise d’un commun accord, nous sommes à la veille de nous disperser. » Ici le Dignitaire entrait dans les détails relatifs à la société, et racontait les divers motifs de cette résolution. Puis il faisait un retour sur ses affaires particulières, et annonçait à son ex-collègue que la Savinienne, forcée de renoncer à tenir son auberge, qui n’était achalandée que par les Gavots dont elle était Mère, avait pris le parti de quitter son commerce et de vendre sa maison. « J’aurais pensé, mon cher Pays, disait-il, que je serais consulté sur cette affaire. Comme ami de feu Savinien,