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DU TOUR DE FRANCE.

de papier découpé par vous sous l’influence d’une idée calme et religieuse, à ce riche poignard qui a servi peut-être d’instrument à la haine.

— Maintenant, me direz-vous, maître Pierre, comment vous connaissez si bien mon cabinet et mes livres, et jusqu’aux petites marques qui s’y trouvent ? À moins que vous n’ayez le don de seconde vue, tout me porte à croire que vous avez lu ici.

— J’ai lu tout ce qui est ici, répondit Pierre, et il fit sa confession, sans omettre les soins recherchés qu’il avait pris pour ne rien gâter dans le cabinet et pour ne pas ternir même les marges des livres. Ces scrupules firent sourire Yseult. Elle lui fit plusieurs questions sur l’effet que ces lectures avaient produit en lui, lui demanda dans quel ordre il les avait faites, et quelles impressions il en avait reçues. En écoutant ses réponses, elle s’expliqua beaucoup de choses qu’elle n’avait pas comprises en lui auparavant, et fut frappée de la droiture de jugement avec laquelle, sans autre lumière que celle d’une conscience rigide et d’un cœur de plein de charité, il réfutait l’erreur et confondant l’orgueil des savants de ce monde, n’admirant chez les poètes et les philosophes que ce qui est vraiment grand et éternellement beau, ne croyant de l’histoire que ce qui est d’accord avec la logique divine et la dignité humaine, s’élevant enfin, par sa grandeur innée, au-dessus de toutes les grandeurs décernées par le jugement des hommes. Elle fut entièrement subjuguée, attendrie, saisie de respect, remplie de foi, si en même temps d’une sorte de honte, comme il arrive lorsqu’on découvre qu’on a protégé ingénument un être supérieur à toute protection. Assise sur le bord d’une table, les yeux baissés, l’âme pénétrée de ce sentiment que les chrétiens ont défini componction, elle garda le silence longtemps après qu’il eut parlé.