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LE COMPAGNON

c’est-à-dire que vous sortez des opprimés, et moi des oppresseurs. J’envie beaucoup votre noblesse, maître Pierre.

— Ce poignard est trop beau pour moi, dit-il en le replaçant sur la table ; on me demanderait par moquerie où je l’ai volé ; et puis vraiment, je suis peuple, je porte le joug de la superstition. Je ne peux me défendre d’une idée sombre devant cette arme tranchante. Décidément, je n’en veux pas. Donnez-moi quelque autre chose.

— Choisissez, dit Yseult en lui ouvrant toutes ses armoires.

— Mon choix sera bientôt fait, dit Pierre. Il y a, dans un volume de votre Bossuet, une petite croix de papier découpé, avec des ornements grecs du Bas-Empire, qui sont d’un goût charmant.

— Eh ! mon Dieu, êtes-vous donc sorcier ? Comment savez-vous cela ? Je ne le sais pas moi-même. Il y a deux ans que je n’ai ouvert mon Bossuet.

Pierre prit le volume, l’ouvrit, et lui montra la petite croix, dont il avait eu bien envie autrefois, et qu’il avait respectée.

— Comment savez-vous que c’est moi qui l’ai faite ? dit-elle.

— Votre chiffre est découpé à jour en lettres gothiques dans un des ornements

— C’est la vérité. Eh bien, prenez-la donc. Mais qu’en ferez-vous ?

— Je la cacherai, et je la regarderai en secret.

— Voilà tout ?

— C’est bien assez.

— Vous attachez à cela quelque idée philosophique, vous préférez cet emblème de miséricorde à l’emblème de vengeance que je vous avais destiné.

— C’est possible ; mais je préfère surtout ce morceau