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DU TOUR DE FRANCE.

ment un employé de la préfecture, à qui le comte avait rendu des services, avait eu la générosité de l’avertir, afin que, s’il avait lui-même quelque chance d’être compromis, il eût à se mettre à couvert. Il aurait certainement à subir une visite domiciliaire dans la nuit. Enfin l’intérêt de la cause exigeait qu’on se dispersât, et qu’Achille quittât le pays à l’instant même. Un bon cheval et un domestique fidèle étaient tout prêts, l’un à le porter, l’autre à le guider à travers les landes jusqu’à la sortie du département. Toute cette histoire fut si admirablement racontée, et le vieux comte joua si bien sa comédie, que les républicains épouvantés se dispersèrent à l’instant comme une poignée de feuilles sèches balayées par le vent. Achille, qui ne demandait que des émotions, eut celle de se croire enfin persécuté ; et cette fuite nocturne, ces dangers qui n’existaient pas, ce mystère qu’il eût voulu confier à tout le monde, l’occupèrent et lui donnèrent une joie d’enfant. Il courut vers l’atelier pour avertir Pierre de sa fuite et lui faire ses adieux.

Pierre l’attendait, et il n’était pas seul. Yseult, qui était dans la confidence, et que son père avait autorisée à seconder l’établissement de la Jean-Jacques Rousseau (tout en travaillant sous jeu à le faire avorter), s’était échappée furtivement du salon pour aider l’artisan dans ses préparatifs. Elle lui avait ouvert son cabinet de la tourelle, afin qu’il pût y prendre des tables, des chaises et des flambeaux ; et elle lui désignait l’arrangement du matériel de la cérémonie, lorsque Achille vint donner, au volet de l’atelier, le signal convenu. Il leur confia rapidement sa position tragique, leur jura qu’il n’abandonnait pas la partie, qu’il saurait, à lui seul, ressusciter le Carbonarisme dans toute la France sous une autre forme, et qu’on le reverrait bientôt à Villepreux, en dépit des tyrans et des sous-préfets. Puis il embrassa Pierre, et