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DU TOUR DE FRANCE.

d’éloquence, déclara à ses voisins que cela était odieux et insupportable. Mais Raoul, qui détestait cordialement son ex-précepteur depuis qu’il prenait de grands airs avec lui, fut ravi de voir qu’il ne pouvait plus placer un mot, et encouragea les sonneurs de cor en leur faisant porter du vin. Le cor ayant usé son effet, car les poumons du libéralisme finissaient par s’y habituer et par lutter contre la fanfare, il se trouva que le cheval de Raoul s’était détaché et se battait dans l’écurie avec les chevaux de ses jeunes amis. Tous se levèrent et coururent séparer les combattants, ce qui fut assez long et assez difficile ; Wolf, averti par le valet de chambre, avait merveilleusement secondé les intentions de son maître. Quand ils rentrèrent on était au dessert : c’était le moment le plus dangereux. Mais le vin circulait abondamment, et le provincial, qui aime à boire, oubliait ses ressentiments, et laissait Achille et ses Romains occuper l’arène de la discussion. Heureusement le comte avait un auxiliaire puissant dans la personne de Joséphine Clicot. L’amante du Corinthien avait fait ce jour-là une toilette ravissante, et elle était d’une beauté à faire tourner la tête à tous les partis. Le comte la mit en relief en la priant de chanter quelque chanson du pays, suivant le vieil usage campagnard et à la manière des pastourelles de la lande. Joséphine, élevée aux champs, ayant une jolie voix et des instincts particuliers de mimique, chantait ces ballades naïves d’une manière très-piquante et avec beaucoup de gentillesse. Elle se fit bien prier, mais enfin elle céda. Dès ce moment on ne s’occupa plus que de la séduisante marquise. Les jeunes royalistes, que l’on avait eu soin de placer autour d’elle, se disputèrent ses réponses, ses regards, ses sourires, et jusqu’aux fruits et aux bonbons que sa main avait touchés. Quand on passa au salon, il s’y trouva un violon ; Raoul savait jouer des contredanses. Le comte pria sa fille de se