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DU TOUR DE FRANCE.

— Eh bien, puisque vous exigez que je le répète, dit-il, ils ont prétendu que vous aviez voulu vous marier avec un jeune savant qui était précepteur de monsieur votre frère, que ce jeune homme avait été chassé honteusement, et que vous aviez failli en mourir de chagrin…

— Et que, sans cette catastrophe, reprit Yseult, qui écoutait avec un sang-froid terrible, j’aurais conservé ce teint de lis et de roses qu’on voit briller sur les joues de ma cousine ?

— Ils ont dit quelque chose comme cela.

— Et qu’avez-vous répondu à ce dernier chef d’accusation ?

— J’aurais pu leur répondre que je vous avais vue à l’âge de cinq ou six ans, et que vous étiez pâle comme aujourd’hui ; mais je n’ai pas songé à nier l’effet, occupé que j’étais de nier la cause.

— Est-ce que vous vous souvenez vraiment de m’avoir vue enfant, maître Pierre ?

— La première fois que vous vîntes ici, vous aviez les cheveux courts comme un petit garçon, mais aussi noirs que vous les avez aujourd’hui ; vous portiez toujours une robe blanche et une ceinture noire, à cause du deuil de votre père : vous voyez que j’ai une bonne mémoire.

— Et moi, je me souviens que vous m’avez apporté deux ramiers dans une cage, et que vous aviez fait cette cage vous-même. Je vous donnai un livre d’images, un abrégé d’histoire naturelle.

— Que j’ai encore !

— Oh ! vraiment ? Mais voilà une digression qui ne me fera pas perdre de vue ce que je voulais savoir. Qu’avez-vous répondu à ces messieurs ?

— Qu’ils ne savaient ce qu’ils disaient, et qu’il y avait peu d’invention dans leurs romans.

— Et alors ils se sont fâchés ?