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LE COMPAGNON

et il perdait patience encore plus que le Corinthien. Et comme ce monsieur, qui est, je crois, un maquignon, insistait toujours sur le même point, et disait qu’Amaury lui avait mal répondu, le Berrichon s’est mêlé de la conversation, et a prétendu que, si la marquise dansait avec les gens du village, ce n’était pas une raison pour danser avec des étrangers… Mais vraiment je ne vois pas, mademoiselle, en quoi cette histoire peut vous intéresser.

— Elle m’intéresse beaucoup, au contraire, et je vous supplie de continuer, dit Yseult. Et, comme Pierre hésitait, elle ajouta pour l’aider : — Ces beaux messieurs ont dit alors que, si nous ne dansions pas avec des étrangers, c’est que nous étions des bégueules impertinentes… Allons dites tout ; vous voyez bien que cela m’amuse et ne peut me fâcher.

— Eh bien, soit ! Ils ont dit cela, puisque vous voulez absolument le savoir.

— Et ils ont dit encore autre chose ?

— Je ne m’en souviens pas.

— Ah ! vous me trompez, maître Pierre ! Ils ont dit de moi en particulier que j’avais tort de faire la princesse, car on savait bien mon histoire.

— Cela est vrai, dit Pierre en rougissant.

— Mais je voudrais la savoir, moi, mon histoire ! Voilà ce qui m’intéresse, et ce que jamais cette sotte de Julie n’a voulu dire à ma cousine !

Pierre était au supplice. L’histoire l’intéressait bien plus qu’Yseult. Que n’eût-il pas donné pour savoir la vérité ! L’occasion sa présentait enfin de la connaître d’après les réponses de mademoiselle de Villepreux, ou de la deviner d’après sa contenance ; mais il lui semblait qu’en articulant le fait il laisserait voir l’agitation de son cœur, et que son secret viendrait sur ses lèvres ou dans ses yeux. Enfin il prit son parti avec un courage désespéré.