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DU TOUR DE FRANCE.

savoir de quoi j’étais accusée. Vraiment, ne refusez pas de contenter ma curiosité.

Pierre était de plus en plus troublé, et ne savait comment raconter l’affaire. Yseult insistait avec une gaieté de sang-froid qui lui était propre, et, pour mieux écouter, venait de s’asseoir posément sur une chaise rustique avec un certain air moitie sœur, moitié reine, qu’elle seule au monde savait conserver dans les moindres actes de sa vie. Forcé dans ses derniers retranchements, et sentant bien qu’il lui devait rendre compte de sa conduite dans une circonstance où il avait publiquement parlé d’elle, il s’arma de résolution ; et, tâchant d’être gai, quoiqu’il tremblât et souffrît mille tortures, il lui raconta ainsi l’anecdote de la veille : — J’étais assis sous la ramée avec le Corinthien et quelques autres de mes amis, lorsque plusieurs jeunes gens, clercs de notaire ou fils de fermiers des environs, sont venus boire de la bière à côté de nous. Ils nous ont adressé la parole les premiers, et, après beaucoup de questions oiseuses, ils nous ont demandé si les jeunes dames du château dansaient dans les fêtes de village, et si l’on pouvait les inviter. Vous veniez de passer près de la ramée avec M. le comte et madame la marquise des Frenays. Le Corinthien a pris sur lui de répondre que vous ne dansiez ni l’une ni l’autre. Je ne sais s’il a bien fait, et s’il n’eût pas été mieux de dire qu’il n’en savait rien. C’est du moins là ce que j’aurais répondu à sa place. Un de ces messieurs a dit alors que madame des Frenays dansait tous les dimanches dans la garenne avec les paysans, qu’il en était bien sûr, et même qu’on lui avait dit qu’elle dansait à ravir. Le Corinthien n’aimait pas la figure de ce monsieur ; il est certain qu’il avait le ton assez impertinent, et que, chaque fois qu’il mettait son coude sur la table, il dérangeait notre nappe et faisait tomber quelque chose. Le Berrichon avait ramassé son couteau trois fois,