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LE COMPAGNON

était trop fin, le second trop gros, le troisième n’était ni assez fin ni assez gros. Du moins, c’était ainsi que le Berrichon, dans son naïf mécontentement, racontait la chose au Corinthien, au grand divertissement de celui-ci. C’est que, lorsque la Clef-des-cœurs assistait Pierre tout le jour, mademoiselle de Villepreux ne venait examiner l’ouvrage qu’une ou deux fois ; et quand Pierre était seul, elle y venait trois ou quatre fois, et restait plus longtemps. Elle n’était pas seule dans les commencements. La marquise ou son père l’accompagnait, et presque toujours le jardinier était dans le parterre. Mais peu à peu elle s’habitua à venir seule, et à rester, même après le coucher du soleil et le départ du jardinier. Pierre voyait bien qu’elle commençait à s’affranchir, sans y prendre garde, de ce joug des convenances auquel jusque-là elle s’était aveuglément soumise. Il lui en avait su gré alors ; car il avait compris qu’elle ne le traitait pas comme une chose, mais comme un homme, et que cette chaste réserve témoignait, non de la méfiance, mais une sorte de respect pour sa position : c’était comme une longue et délicate réparation qu’elle lui avait donnée du mot mémorable de la tourelle. Mais lorsqu’elle oublia ce parti pris, et ne craignit plus de rester seule avec lui dans le parc réservé, il lui en sut encore plus de gré ; car c’était la marque d’une sainte confiance et d’une tranquillité d’âme presque fraternelle. Pierre, loin de souffrir de ces relations calmes et pures, les bénissait et les chérissait, n’en rêvant pas d’autres, et n’aspirant pas au bonheur dangereux qui enfiévrait le Corinthien. Il aimait trop pour désirer. Yseult lui apparaissait comme un être céleste qu’il aurait craint de profaner en effleurant seulement les plis de sa robe. Il tremblait bien de tout son corps en la voyant venir du fond de l’allée, et sa main pouvait à peine alors soutenir le poids du maillet ou du ciseau. Lorsqu’il l’entendait nom-