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pluie d’orage est froide malgré l’été, le soleil reparaissait aux cieux assombris, la nuée s’envolait lentement vers l’est, et l’arc-en-ciel, répété dans la Loire, élevait un pont sublime de l’onde au firmament. Bientôt le temps fut si pur, l’air si doux et la terre si riante, après cette généreuse ondée, que les heureux compagnons mirent le couvert sous la ramée. Quelques gouttes de pluie tombèrent bien, du calice des fleurs humides, sur le pain des voyageurs ; mais il ne leur en parut pas moins bon. Les chèvrefeuilles du père Vaudois exhalaient un doux parfum, son merle apprivoisé chantait d’une voix mélodieuse sur le buisson voisin, le soleil s’abaissait vers l’horizon, la Loire était en feu, et les poissons y traçaient mille cercles étincelants. Cette belle soirée, la joie de retrouver deux amis si parfaits, l’animation qu’un vin peu délicat sans doute, mais naturel et pur de toute fraude, faisait circuler dans les veines, les sages propos de Vaudois, les aimables épanchements d’Amaury, tout contribuait à élever aux plus hautes régions les nobles pensées de Pierre Huguenin, ou de Villepreux, l’Ami-du-trait, comme l’appelaient ses compagnons.

Mais à mesure que la nuit se faisait autour de lui, il redevint triste. Sa voix ne se mêla plus à celles de ses deux amis pour fêter l’heureuse rencontre, les douceurs de la vie errante, la gloire de la menuiserie, et tous ces beaux textes qui inspirent aux compagnons des chants si naïfs et souvent si poétiques. Amaury, qui l’avait vu souvent rêveur, ne s’en étonna guère ; mais Vaudois, qui était un homme du bon vieux temps, et qui ne comprenait rien à la mélancolie, lui fit reproche de la sienne.

— Jeune homme, lui dit-il, pourquoi ton front s’est-il obscurci en même temps que l’horizon ? Crois-tu que le soleil ne se lèvera pas demain ? L’amitié n’a-t-elle de pouvoir sur toi que pendant une heure ? As-tu trop d’esprit