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un sentier tracé dans les oseraies de la rive. Il apercevait déjà, dans le lointain, les noirs clochers de Blois, et les hautes murailles du sombre château où périrent les Guises, et d’où s’évada, plus tard, Marie de Médicis, prisonnière de son fils. Mais en vain il doubla le pas ; il vit bientôt qu’il lui serait impossible d’arriver avant l’orage. Le ciel était chargé de lourdes nuées, dont les eaux reflétaient la teinte plombée. Les osiers et les saules du rivage blanchissaient nous le vent, et de larges gouttes de pluie commençaient il tomber. Il se dirigea vers un massif d’arbres, afin d’y chercher un abri ; et bientôt, à travers les buissons, il distingua une maisonnette assez pauvre, mais bien tenue, qu’à son bouquet de houx il reconnut pour un de ces gîtes appelés bouchons dans le langage populaire.

Il y entra, et à peine eut-il passé le seuil, qu’il fut accueilli par une exclamation de joie. — Villepreux[1], l’Ami-du-trait ! s’écria l’hôte de cette demeure isolée : sois le bienvenu, mon enfant ! — Surpris de s’entendre appeler par son nom de gavot, Pierre, dont les yeux n’étaient pas encore habitués à l’obscurité qui régnait dans la cabane, répondit : — J’entends une voix amie, et pourtant je ne sais où je suis. — Chez ton compagnon fidèle, chez ton frère de liberté, répondit l’hôte en s’approchant de lui les bras ouverts : chez Vaudois-la-Sagesse !

— Chez mon ancien, chez mon vénérable ! s’écria Pierre en s’avançant vers le vieux compagnon, et ils s’embrassèrent étroitement ; mais aussitôt Pierre recula d’un pas en laissant échapper une exclamation douloureuse : Vaudois-la-Sagesse avec une jambe de bois !

— Eh mon Dieu oui ! reprit le bravo homme, voilà ce

  1. Les compagnons gavots ajoutent à un surnom significatif celui qu’ils tirent de leur pays, ou simplement le nom de leur village.