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— Et vous, répondit Pierre Huguenin, je vous connais maintenant ; vous êtes un homme de cœur. Vos remords pour l’affaire de Montpellier, et les secours que vous envoyez à la famille d’Hippolyte le sincère, me l’ont prouvé. Mais vous êtes rempli d’orgueil et de préjugés, et, si vous ne secouez pas ces liens misérables, vous vous préparez bien d’autres regrets.

— Vous prononcez un nom qui réveille bien des souffrances, reprit Sauvage. Si on m’eût laissé faire, j’aurais abjuré mon nom, La terreur des gavots, pour un nom qui me passa par la tête dans ce temps-là. Je voulais m’appeler Le cœur brisé. Le Devoir ne le permit pas ; et il fit bien, car on se serait moqué de moi.

— C’est possible ; mais moi je vous estime pour en avoir eu la pensée.

— Si vous n’étiez pas de Salomon, vous ne seriez pas si touché de cela. Si j’avais tué un renard du père Soubise, vous y seriez fort indifférent, et pourtant je ne me le reprocherais pas moins.

— Je vous trouverais aussi coupable de l’avoir fait, et je vous estimerais également de le réparer comme vous faites.

— D’où vient cela ? vous êtes donc mécontent de vos gavots ?

— Nullement. Mais je suis, comme vous, le fils d’un père plus humain et plus illustre que Salomon ou Jacques.

— Que voulez-vous dire ? Y a-t-il une nouvelle société qui se vante d’un fondateur plus fameux que les nôtres ?

— Oui. Il y a une plus grande société que celle des Gavots et des Dévorants : c’est la société humaine. Il y a un maître plus illustre que tous ceux du Temple et tous les rois de Jérusalem et de Tyr : c’est Dieu. Il y a un Devoir plus noble, plus vrai que tous ceux des initiations