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épouvantée de sa chute au point d’avoir des attaques de nerfs ? On l’eût dit à l’agitation de toute sa personne, jusqu’alors si roide et si calme. Le fait est qu’elle avait été prise d’un fou-rire en le voyant reparaître, et comme il arrive aux personnes habituellement sérieuses, sa gaieté était convulsive, inextinguible. Le jeune Raoul, qui, malgré sa nonchalance et le peu de ressort de son esprit, était persifleur de sang-froid comme toute sa famille, entretenait l’hilarité de sa sœur par une suite de remarques plaisantes sur la manière ridicule dont Isidore avait fait le plongeon. Le parler lent et monotone de Raoul rendait ces réflexions plus comiques encore. La sensible marquise n’y put tenir, malgré l’effroi qu’elle avait eu d’abord, et le rire s’empara d’elle comme de sa cousine. Le comte, voyant ces trois enfants en joie, renchérit sur les plaisanteries de son petit-fils avec un flegme diabolique. Isidore n’entendait rien, mais il voyait rire Yseult qui, renversée au fond de la voiture, n’avait plus la force de s’en cacher. Il en fut si amèrement blessé, que dès cet instant il jura de l’en punir, et une haine implacable contre cette jeune personne s’allume dans son âme vindicative et basse.

CHAPITRE VII.

Cependant Pierre Huguenin marchait toujours vers Blois par la traverse, tantôt sur la lisière des bois inclinés au flanc des collines, tantôt dans les sillons bordés de hauts épis. Quelquefois il s’asseyait au bord d’un ruisseau, pour laver et rafraîchir ses pieds brûlants, ou à l’ombre d’un grand chêne, au coin d’une prairie, pour prendre son repas modeste et solitaire. Il était excellent piéton et ne redoutait ni la chaleur ni la fatigue ; et pourtant il abrégeait avec peine ces haltes délicieuses au sein d’une solitude