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lez m’écouter. Il nous faut deux bons ouvriers, et tout ira bien.

— Et où les prendras-tu ? les maîtres menuisiers des environs voudront-ils nous céder les leurs ? Quand ils sont bons, on n’en a jamais de reste ; et s’ils sont mauvais, on en a toujours de trop. Proposerai-je à un de ces maîtres de se mettre de moitié avec moi ? Dans ce cas-là, j’aime autant me retirer tout à fait. À quoi bon prendre la peine s’il faut partager l’honneur ?

— Aussi faut-il que l’honneur vous reste en entier, répondit le jeune menuisier, qui connaissait bien le faible de son père ; il ne faut vous associer avec personne. Seulement je vais vous chercher deux ouvriers, et des meilleurs, je vous en réponds ; laissez-moi faire.

— Mais, encore un coup, où les pêcheras-tu ? s’écria le père Huguenin.

— J’irai les embaucher à Blois, répondit Pierre.

Ici le vieillard fronça le sourcil d’une étrange manière, et son visage prit une expression de reproche si sévère, que Pierre en fut interdit.

— C’est bien ! reprit le père Huguenin après un silence énergique, voilà où tu voulais en venir. Il te faut des compagnons du Tour de France, des enfants du Temple, des sorciers, des libertins, de la canaille des grands chemins ? Dans quel Devoir les choisiras-tu ? car tu ne m’as pas fait l’honneur de me dire à quelle société diabolique tu es affilié, et je ne sais pas encore si je suis le père d’un loup, d’un renard, d’un bouc ou d’un chien[1] ?

— Votre fils est un homme, dit Pierre en reprenant courage, et soyez sûr, mon père, que personne ne lui adressera jamais un terme méprisant ; je savais bien que

  1. Appellations divrses que les sociétés de compagnons de divers métiers se donnent les unes aux autres.