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de l’employé aux ponts et chaussées, ne doutant pas que ce ne fût l’œuvre du menuisier.

— Permettez, monsieur, lui dit Pierre avec sa tranquillité accoutumée, le plan que vous rejetez n’est pas le mien. Veuillez regarder le plan que vous venez d’approuver ; mon nom est écrit en petit caractère sur la dernière marche de l’escalier.

— Ma foi, c’est vrai ! s’écria l’architecte avec un gros rire ; j’en suis fâché pour vous, mon pauvre père Lerebours, votre fils s’est blousé. Allons, n’en soyez pas désolé, cela peut arriver à tout le monde. — Quant à toi, mon garçon, ajouta-t-il en se tournant vers le fils Huguenin et en lui frappant sur l’épaule, tu entends ton affaire, et si tu es aussi bon sujet que tu es bon géomètre, tu pourras faire ton chemin. Voilà une planche dessinée avec beaucoup de goût et d’intelligence, continua-t-il en retournant au dessin de Pierre Huguenin, et cet escalier pourra être aussi commode qu’élégant. Employez-moi ce menuisier-là, père Lerebours, vous en pourrez faire venir de loin qui ne le vaudront pas.

— C’est aussi mon intention, répondit Lerebours avec le calme d’une profonde politique. Je sais rendre justice au talent, et reconnaître le mérite où il se trouve. Mon fils est certainement un homme très-fort en géométrie, mais il a une tête si jeune, si ardente…

— Allons, allons, il aura pensé à quelque jolie femme en dessinant son plan, dit l’architecte. Le gaillard est assez bel homme pour avoir souvent de telles distractions !…

Le père Lerebours se mit à rire comme une crécelle, tandis que l’architecte lui répondait comme une grosse cloche. Quand ils eurent épuisé toute leur gaieté légère, ils se mirent à faire le devis général des travaux, tandis que le maître menuisier et son fils faisaient celui qui con-