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— Votre manière est bonne aussi, lui répondit Pierre.

— Mais enfin, dit le vieillard, la tienne vaut mieux, sans doute ?

— Elle m’est plus facile, répondit Pierre.

— Tu désapprouves donc la mienne ? dit encore le père Huguenin.

— Nullement, répondit le jeune homme, puisque avec un peu plus de temps et de peine vous arrivez au même résultat.

Le vieux menuisier comprit cette critique délicate et se mordit les lèvres, puis un sourire d’approbation effaça cette grimace involontaire.

Après le souper, Pierre se mit à l’œuvre. Il tira de son carton une grande feuille de papier, prit son crayon, son compas et sa règle, tira des lignes et les coupa par d’autres lignes, arrondit des courbes, des demi-courbes, fit des projections, des développements, et à minuit son plan fut terminé. Le père Huguenin, qui feignait de sommeiller auprès de la cheminée, le suivait des yeux par-dessus son épaule. Quand il vit qu’il refermait son portefeuille et s’apprêtait à se coucher sans dire un mot : Pierre, dit-il enfin d’une voix oppressée, tu joues gros jeu ! Es-tu bien sûr d’en savoir plus long que le fils de M. Lerebours, qu’un jeune homme qui a été élevé dans les écoles, et qui est employé par le gouvernement ? Ce matin, pendant que tu expliquais les fautes de son plan, quoique tu te servisses de mots qui ne me sont pas très-familiers, j’ai compris que tu pouvais avoir raison ; mais il est facile de blâmer, et malaisé de faire mieux. Comment peux-tu te flatter de ne pas te tromper toi-même dans toutes ces lignes que tu viens de croiser sur un chiffon de papier ? Il n’y a qu’en essayant les pièces les unes avec les autres, et en retouchant à mesure, qu’on peut être bien sûr de ce qu’on fait. Si tu commets une faute en travaillant, ce