Page:Sand - Le compagnon du tour de France, tome 1.djvu/261

Cette page a été validée par deux contributeurs.

vinienne avec sa résignation, sa fermeté, son courage, sa réputation sans tache et son amour maternel. Une robe de satin, des petits pieds, des mains douces, des cheveux arrangés comme ceux d’une statue grecque, voilà, je l’avoue, de grands attraits, pour nous autres surtout, qui ne voyons ces beautés si bien ornées qu’à une certaine élévation au-dessus de nous, comme nous voyons les Vierges richement parées dans les églises. De belles paroles, un air de bonté souveraine, un esprit plus fin, plus orné que le nôtre, voilà aussi de quoi nous éblouir et nous faire douter si ces femmes sont de la même espèce que nos mères et nos sœurs ; car celles-ci sont placées sous notre protection, tandis que nous sommes comme des enfants devant les autres. Mais, sois-en certain, Amaury, nos femmes ont plus de cœur et de vrai mérite que ces grandes dames, qui nous méprisent en nous flattant, et nous foulent aux pieds en nous tendant la main. Elles vivent dans l’or et la soie. Il faut qu’un homme se présente à elles attifé et parfumé comme elles ; autrement ce n’est pas un homme. Nous, avec nos gros habits, nos mains rudes et nos cheveux en désordre, nous sommes des machines, des animaux, des bêtes de somme ; et celle qui pourrait l’oublier un instant rougirait de nous et d’elle-même l’instant d’après.

Pierre parlait avec amertume, et peu à peu il avait élevé la voix. Il s’interrompit tout à coup, car il lui sembla que le feuillage avait remué derrière lui. Le Corinthien fut frappé aussi de ce frôlement mystérieux. Il tremblait que la marquise ou quelqu’une des soubrettes du château n’eût entendu ses confidences. Une autre pensée était venue à Pierre ; mais il la repoussa et ne l’exprima point. Il retint son ami, qui voulait s’élancer dans le fourré à la poursuite de la biche curieuse, et se moqua de sa folie. Mais leurs soupçons s’aggravèrent lorsque,