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périeur, la marquise, n’y tenant plus, accepta l’invitation d’Isidore. Mais, après Isidore, personne ne se présenta, et elle s’en plaignit tout naïvement à son oncle lorsqu’il lui demanda pourquoi elle ne dansait plus.

— Voilà ce que c’est que d’être une belle dame, dit le comte. Mais voyons donc si je ne te trouverai pas un danseur. Viens ici, mon enfant, dit-il au Corinthien qui était à deux pas de lui : je vois bien que tu grilles d’inviter ma nièce, mais que tu n’oses pas. Moi, je te déclare qu’elle sera charmée de danser. Allons, offre-lui la main, et en place pour la contredanse ! c’est moi qui vais crier les figures.

Le Corinthien était trop gâté au château pour être étonné ou confus d’un tel honneur. — C’est la première fois que je fais danser une marquise, se disait-il en lui-même ; c’est égal, je la ferai danser tout aussi bien qu’un autre, et je ne vois pas pourquoi j’en serais si ébloui.

C’était une réponse intérieure qu’il faisait aux regards écarquillés du Berrichon, placé vis-avis de lui, et tout stupéfait de l’aventure.

Tout en sautant légèrement sur le pré avec sa danseuse, le Corinthien, qui, malgré son courage intérieur, n’avait pas encore osé la regarder en face, s’aperçut que cette reine du bal était si troublée qu’elle s’embrouillait dans les figures. Il n’y comprit rien d’abord, et, voulant l’aider à reprendre sa place sans être atteinte par les ronds-de-jambe impétueux du Berrichon, il osa, mais sans aucun autre sentiment que celui d’une déférence naturelle, placer sa main sous le coude de la marquise pour l’empêcher de tomber. Ce coude nu entre une manche courte et une mitaine de soie noire était si rond, si mignon et si doux, que le Corinthien ne le sentit pas d’abord, et que, voyant le Berrichon lancé dans une pirouette irréfrénable et la marquise chanceler, il lui serra le coude pour la remettre