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avec eux ; voire le père Huguenin, qui affectait vainement son grand air républicain, et qui se laissait prendre tout comme un autre, quoiqu’il n’en convînt jamais.

Dans le commencement, le jeune Raoul de Villepreux dansait avec les plus jolies filles, et ne manquait guère de les embrasser, ce qui faisait rouler de gros yeux à leurs prétendus ; mais il n’en était que cela : si bien qu’un jour le père Lacrête, qui était non loin du banc de gazon, serra le poing d’un air demi-goguenard, demi-farouche, et jura, par tous les dieux dont il put invoquer le nom, que, de son temps, il n’aurait pas laissé embrasser son amoureuse, fût-ce par le dauphin de France. Le père Lacrête avait eu un mémoire réglé par l’architecte du château, et faisait de l’opposition ouvertement contre la famille.

Le comte, qui ne voulait pas compromettre sa popularité, ne releva pas le propos du vieux serrurier ; mais il ne le laissa pas tomber non plus, et le jeune seigneur ne reparut plus aux danses sous le chêne.

M. Isidore dansait, et Dieu sait avec quelle prétention ridicule et quels airs de triomphe impertinents ! Les filles du village en étaient éblouies ; mais les femmes de chambre, qui se connaissaient en belles manières, et la fille de l’adjoint, qui était une princesse, le trouvaient trop familier. Madame des Frenays avait dansé avec son cousin Raoul dans les premiers jours, et n’avait pas dédaigné de mettre sa petite main dans celle du paysan qui lui faisait vis-à-vis à la chaîne anglaise. Mais cette main était couverte d’un gant, ce qui parut fort injurieux à la plupart des danseurs, et ce qui les empêcha de l’inviter, quoiqu’elle mourût d’envie de l’être, car elle dansait à ravir ; ses petits pieds effleuraient à peine le gazon, et il n’est point de manants pour une jolie femme qui se voit admirée.

Quand Raoul s’éclipsa du bal champêtre par ordre su-