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campagnes subsistait à peine, mais où les capitalistes pouvaient tenter d’heureuses améliorations. Sous le prétexte de s’adonner à l’agriculture, le vieux seigneur y avait fait depuis deux ans des pauses plus longues, et, cette fois, il venait de s’y installer avec tous les préparatifs que le projet d’un long séjour entraîne. Les travaux qu’il y faisait faire et la quantité de malles, de livres et de domestiques qu’on y voyait arriver chaque jour, annonçaient une prise de possession en règle. Cela donnait lieu, comme on peut le croire, à beaucoup de commentaires ; car, en province, rien ne peut se passer naturellement, il faut à tout une explication mystérieuse. Les uns disaient que le vieux seigneur venait là pour composer des mémoires, ce qui paraissait ressortir des longues dictées qu’il faisait à sa fille et de la vie de cabinet qu’il menait avec elle. Les autres penchaient à croire que cette même fille, qui paraissait lui être si chère, avait dû se mettre en tête, à Paris, quelque amour malheureux dont on venait la soigner et la guérir dans la solitude et le recueillement. La pâleur habituelle de cette jeune personne, son air grave, ses habitudes de retraite, ses longues veilles étaient des choses assez étranges aux yeux des habitants de la contrée pour qu’il fallût les expliquer par un roman.

Ces derniers propos revenaient quelquefois à l’oreille de Pierre Huguenin, et ne lui paraissaient pas dénués de fondement. Mademoiselle de Villepreux était si différente, en effet, des jeunes personnes de son âge, la fraîcheur et la vivacité de sa cousine faisaient un tel contraste à côté d’elle, et puis on exagérait tellement l’excentricité de ses habitudes, qu’il ne savait à quelle idée s’arrêter. Mais que lui importait ? C’est la question qu’il se faisait à lui-même ; et cependant, lorsqu’il entendait parler de cette passion supposée, il sentait son cœur se serrer d’une manière étrange, et il faisait d’inutiles efforts pour écarter une