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la petite comtesse, comme on l’appelle, de se trouver avec des garçons honnêtes comme nous, qui ne disons jamais de vilaines paroles et qui ne chantons que des chansons morales ? Car, enfin, il y a bien des ouvriers qui ne souffriraient pas de se voir lorgnés comme ça, et qui la feraient partir en disant des gros mots exprès devant elle.

— C’est ce que nous ne ferons jamais, j’espère, dit Amaury ; nous devons du respect à une femme, qu’elle soit mendiante ou marquise ; et, d’ailleurs, nous nous respectons trop nous-mêmes pour tenir des propos grossiers. On est là pour travailler, on travaille. Cette dame travaille aussi. Je ne sais si c’est à quelque chose de beau ou d’utile. Il faut le croire : sans cela quel plaisir trouverait-elle à quitter sa société pour la nôtre ?

La marquise ne faisait pas d’autre impression sur Amaury. Il avait bien remarqué qu’elle était jolie, à force de l’entendre dire ; mais il ne voulait pas croire qu’elle fût là pour lui, comme le Berrichon et les apprentis le pensaient. D’ailleurs il n’avait dans l’esprit que la sculpture, et dans le cœur que la Savinienne.

CHAPITRE XX.

Le vieux comte n’était pas très-connu dans son village de Villepreux. Il n’avait pris possession de ce domaine qu’après la révolution, et il n’y était jamais venu que de loin en loin, et pour y faire des stations de trois mois tout au plus. C’était la moins splendide de ses habitations et la plus retirée de ses terres vers l’intérieur paisible de la France. À cette époque-là, la Sologne n’était pas semée, comme aujourd’hui, de belles forêts naissantes, ni coupée de routes praticables. Ce pays, où il reste encore tant à faire, était un désert où la misérable population des