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fort honnêtes. Sa fille est aussi avenante et bonne, sous son air tranquille et indifférent. Le jeune homme (il parlait de Raoul, le frère d’Yseult) est un peu borné, paresseux, et, comme dit notre Berrichon, sert-de-rien ; mais, en somme, ce n’est pas un méchant enfant ; et quand ses chiens mangent nos poules, il bat ses chiens sans les ménager. Enfin on voit, aux manières de l’intendant avec nous, que son maître lui a commandé d’être poli et humain pour le pauvre monde. Mais, malgré tout cela, je ne peux pas, moi, me mettre à aimer ces gens-là comme j’aimerais d’autres gens, des gens de notre espèce. Je vois le père Lacrête qui n’en est pas content, parce que ses manières un peu sans façon, et son envie bien naturelle de gagner le plus possible, ne sont pas bien venues au château. M. le comte a beau faire, il ne me fera pas croire qu’il aime le peuple, quoiqu’il passe pour un fameux libéral et que les imbéciles le traitent de jacobin. Il tirera bien son chapeau à celui de nous qui aura le plus d’esprit ; mais on n’a qu’à s’oublier un peu avec lui, on verra comme il remontera sur ses grands chevaux pour passer sur le ventre des manants. Il sortira bien un louis d’or de sa poche pour qu’un pauvre diable boive à sa santé ; mais essayons de boire à la république, on verra comme il nous payera les violons ! Je vois bien la demoiselle du château faire l’aumône, aller et venir chez les malades comme une sœur de charité, causer avec un gueux comme avec un riche, et porter des robes moins belles que celles de sa fille de chambre ; on ne peut pas dire qu’elle veuille écraser le village, ni qu’elle ait jamais refusé de rendre un service ; mais allez lui proposer d’épouser le fils d’un gros fermier : eût-il de l’éducation et des écus autant qu’elle, elle vous dira qu’elle ne saurait déroger. Je ne la blâme pas ; les bourgeois ne valent pas mieux que les nobles. Mais enfin, rappelez-vous,