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seulement lorsque celle-ci le lui apportait. Or, Joséphine le lui montrait de moins en moins, et finit par ne plus le lui montrer du tout. Yseult s’en étonna, et lui dit un soir : — Eh bien, cousine, qu’as-tu donc fait de ton dessin ? Ce doit être un chef-d’œuvre, car il y a huit jours que tu y travailles.

— Il est horrible, répondit la marquise vivement : affreux, manqué, barbouillé ! Ne me demande pas à le voir, j’en suis honteuse ; je veux le déchirer et le recommencer.

— J’admire ton courage, reprit Yseult ; mais, si ce n’était pas te demander trop grand sacrifice, je te supplierais, moi, d’en rester là. Le bruit des ouvriers et la poussière qu’ils font m’incommodent beaucoup. J’ai l’habitude de travailler ici, et je serais, je crois, incapable de travailler ailleurs. Il faudra que j’y renonce si tu continues à me laisser la porte ouverte.

— Eh bien ! si je dessinais avec la porte fermée ?… dit la marquise timidement.

— Je ne sais trop comment motiver ce que je vais te dire, répondit Yseult après un instant de silence ; mais il me semble que cela ne serait pas convenable pour toi : que t’en semble ?

— Convenable ! le mot m’étonne de ta part.

— Oh ! je sais bien que je t’ai dit qu’on était seule, quoique tête à tête avec un ouvrier ; mais c’était une idée fausse autant qu’une parole insolente, et tu sais que je me la reproche. Non, tu ne serais pas seule au milieu de six ouvriers.

— Au milieu ? Mais Dieu me préserve d’aller me mettre au beau milieu de l’atelier ! Ce ne serait pas du tout le point de vue pour dessiner.

— Je sais bien que la tribune est à vingt pieds du sol, et que tu es censée dans une autre pièce que celle où ils