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Pierre aurait mieux aimé qu’elle lui dît : — Je vous en prie. Il la força de le dire en refusant avec une certaine fierté.

— Vous me ferez beaucoup de plaisir en l’acceptant, reprit Yseult ; j’en retrouverai une autre pour moi. Ne craignez pas de m’en priver.

— Eh bien ! dit Pierre, je vous ferai un cadre en échange.

— En échange ! dit mademoiselle de Villepreux, qui trouva le mot un peu familier.

— Pourquoi non ? dit Pierre qui, dans les choses délicates, retrouvait spontanément le tact et l’aplomb d’une nature élevée. Je ne suis pas forcé d’accepter un cadeau.

— Vous avez raison, répondit Yseult avec un mouvement de noble franchise. J’accepte le cadre, et avec bien du plaisir. Et elle ajouta en voyant le doux orgueil qui brillait sur le front de l’artisan : — Si mon grand-père était là, il serait enchanté de voir cette gravure entre vos mains.

Peut-être que cet innocent et dangereux entretien se fût prolongé ; mais la petite marquise des Frenays vint l’interrompre. Elle débuta par un cri de surprise fort bizarre.

— Qu’avez-vous donc, ma chère ? lui dit Yseult avec un sang-froid qui la déconcerta tout à coup.

— Je m’attendais à vous trouver seule, répondit la marquise.

Eh bien ! ne suis-je pas seule ? dit Yseult en baissant la voix pour que l’ouvrier n’entendît pas ce mot terrible ; mais il l’entendit : le cœur saisit parfois mieux que l’oreille. L’affreuse réponse tomba comme la mort dans cette âme embrasée d’amour et de bonheur. Il jeta la gravure au fond du carton, et le carton sur une chaise, avec un mouvement d’horreur qui ne put échapper à mademoi-