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avait trop de délicatesse d’esprit pour ne pas remarquer ; et il le remarqua assez longtemps pour que mademoiselle de Villepreux fût tirée de sa préoccupation par ce silence, ainsi qu’il arrive lorsqu’on s’endort dans le bruit et qu’on s’éveille si le bruit cesse.

— Vous regardez cette crédence ? lui dit-elle avec le plus parfait naturel et sans que l’idée lui vînt de se croire l’objet d’une telle attention.

Pierre se troubla, rougit, balbutia, et voulant répondre oui, répondit non.

— Eh bien ! regardez-la de plus près, dit Yseult, qui n’avait pas écouté sa réponse, et qui s’était remise à ranger ses papiers.

Pierre fit quelques pas dans le cabinet avec un courage désespéré.

— Je ne reverrai plus ce lieu où j’ai passé des heures si précieuses, pensait-il ; il faut que je lui fasse mes adieux en le regardant pour la dernière fois.

Yseult, qui s’était assise devant sa table, lui dit sans relever la tête : — N’est-ce pas qu’elle est belle ?

— Cette vierge de Raphaël ? dit Pierre tout hors de lui et sans songer à ce qu’il disait : oh oui ! elle est bien belle !

Yseult, surprise de ce que la gravure occupait le menuisier plus que la crédence, leva les yeux sur lui, et vit son émotion, mais sans la comprendre. Elle l’attribua à cette timidité qu’elle avait déjà remarquée en lui ; et, par une habitude de bonté affable que son grand-père lui avait inculquée, elle désira de le rassurer. — Vous aimez les gravures ? lui dit-elle.

— J’aime beaucoup celle-ci, dit Pierre. Si mon compagnon la voyait, il serait bien heureux.

— Voulez-vous que je vous la prête pour la lui montrer ? dit Yseult. Emportez-la.

— Je n’oserais pas me permettre…, balbutia Pierre