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Un matin, M. Lerebours se leva encore plus tôt que de coutume, ce qui n’était guère possible, à moins de se lever, comme on dit, la veille ; et descendant la rue principale et unique du village, dite rue Royale, il tourna à droite, prit une ruelle assez propre, et s’arrêta devant une maisonnette de modeste apparence.

Le soleil commençait à peine à dorer les toits, les coqs mal éveillés chantaient en fausset, et les enfants, en chemise sur le pas des portes, achevaient de s’habiller dans la rue. Déjà cependant le bruit plaintif du rabot et l’âpre gémissement de la scie résonnaient dans l’atelier du père Huguenin, les apprentis étaient tous à leur poste, et déjà le maître les gourmandait avec une rudesse paternelle.

— Déjà en course, monsieur le régisseur ? dit le vieux menuisier en soulevant son bonnet de coton bleu.

M. Lerebours lui fit un signe mystérieux et imposant. Le menuisier s’étant approché :

— Passons dans votre jardin, lui dit l’économe, j’ai à vous parler d’affaires sérieuses. Ici, j’ai la tête brisée ; vos apprentis ont l’air de le faire exprès, ils tapent comme des sourds.

Ils traversèrent l’arrière-boutique, puis une petite cour, et pénétrèrent dans un carré d’arbres à fruit dont la greffe n’avait pas corrigé la saveur, et dont le ciseau n’avait pas altéré les formes vigoureuses ; le thym et la sauge, mêlés à quelques pieds d’œillet et de giroflée, parfumaient l’air matinal ; une haie bien touffue mettait les promeneurs à l’abri du voisinage curieux.

C’est là que M. Lerebours, redoublant de solennité, annonça à maître Huguenin le menuisier la prochaine arrivée de la famille.

Maître Huguenin n’en parut pas aussi étourdi qu’il aurait dû l’être pour complaire à l’intendant.

— Eh bien, dit-il, c’est votre affaire à vous, mon-