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moi, dans quelle classe dois-je me ranger ? je l’ignore. Ne saurais-tu me le dire, oh ! mon pauvre Pierre ?

— En parlant ainsi, le Corinthien travaillait avec ardeur ; ses yeux étaient brillants et humides, son front était baigné de sueur. Il y avait au fond de son âme une angoisse délicieuse et terrible. Pierre la partageait. Quand la figure fut achevée, Amaury, voyant arriver le père Huguenin et les apprentis, essuya son front, et cacha dans un coin son œuvre et les outils dont il s’était servi pour la faire. Il craignait le jugement de l’ignorance, et d’être découragé par quelque raillerie. Il ne voulait même pas examiner à la dérobée ce qu’il avait fait, crainte d’apercevoir son impuissance et de perdre trop vite l’espoir plein de délices. Quand les ouvriers sortirent à midi pour goûter, il ne les suivit pas, et pria Pierre Huguenin de lui aller chercher un morceau de pain. Mais quand celui-ci le lui rapporta, il ne songea point à y toucher.

— Pierre ! s’écria-t-il, je crois que j’ai réussi ; mais je tremble de te montrer ce que j’ai fait. Si tu le condamnes, ne me le dis pas encore, je t’en prie. Laisse-moi me flatter jusqu’à ce soir encore.

L’heure du souper étant venue, il enveloppa la figurine dans son mouchoir, et la donnant à Pierre : — Prends-la, dit-il, et attends que tu sois seul pour la regarder. Si tu la trouves mauvaise, brise-la et ne m’en parle plus.

— Je m’en garderai bien, dit Pierre, je ne puis juger le mérite d’une pareille chose ; mais je sais quelqu’un qui doit s’y connaître, et je te dirai dans une heure si tu dois poursuivre ou cesser. Va m’attendre à la maison, et soupe, car tu n’as rien pris de la journée.

Pierre ne songea pas à prendre ses beaux habits. Il ne se souvint même pas de l’embarras qu’il avait éprouvé la veille, en paraissant devant le comte et devant sa fille ; il ne pensa qu’à l’anxiété de son ami, et il demanda à