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— Nulle part et partout, répondit le jeune homme. J’ai toujours été pousse par un instinct irrésistible vers les statues et les bas-reliefs. Je n’ai jamais passé devant un monument sans m’arrêter pour en considérer longtemps tous les ornements et toutes les sculptures. Mais c’est dans les musées des grandes villes que j’ai caché de longues contemplations et savouré des jouissances que je n’aurais ose dire à personne. Nous allons tous voir ces collections, comme on va chercher le spectacle d’objets nouveaux, étranges. Nous y prenons toujours quelques notions d’histoire, de mythologie et d’allégorie ; mais la plupart d’entre nous y vont satisfaire une curiosité sans but, et moi je puis dire que j’y allais assouvir une passion. J’ai même fait quelques dessins d’après les modèles. À Arles, j’ai essayé de copier la Vénus antique, et j’ai pris le contour de quelques vases et de quelques sarcophages que je rêvais d’exécuter en bois et de placer comme ornement dans quelque partie de décor. Mais savais-je ce que je faisais ? Et sais-je à présent ce que j’ai fait ? De grossières caricatures peut-être. J’ai calculé géométriquement les proportions ; mais la grâce, la finesse, le mouvement, la beauté en un mot !… Qui me dira que ma main obéit à ma pensée ? qui me prouvera que mes yeux ne m’ont pas trompé, quand ils ont cru retrouver sur le papier ce qu’ils avaient découvert et observé dans la pierre et dans le marbre ?… Je m’agite dans le chaos, dans le néant peut-être ! J’ai vu des enfants dessiner sur les murs des faces grotesques, impossibles, qu’ils croyaient conformes aux lois de la nature ; ils se trompaient, et ils étaient contents de leur ouvrage. Mais j’ai vu d’autres enfants tracer naturellement, et comme obéissant à une faculté mystérieuse, des figures animées, des attitudes vraies, des corps bien posés, bien proportionnés. Ils ne savaient pas s’ils avaient mieux fait que les autres ! Et